Il y a quelques semaines, on vous a montré comment surveiller le fonctionnement d'une ventilation hygroréglable (type B) avec Home Assistant. Nous en étions resté sur le fait que dans certains cas, le réglage hygrosensible mécanique n'est pas idéal. Voyons donc comment un peu de domotique utilisée à bon escient peut améliorer les performances énergétiques du système.
Un petit conseil pour commencer: avant de lire cet article, assurez d'avoir lu la première partie pour avoir le contexte et les bases du fonctionnement d'une ventilation hygroréglable (type B).
Pourquoi adapter le régime de la ventilation
Les ventilistes sont généralement convaincus qu'il ne faut jamais arrêter ou baisser une ventilation hygroréglée. Ce serait un péché capital, qui ferait immanquablement apparaître des moisissures...
Il existe pourtant de bonnes raisons de le faire, qui ne présentent aucun risque:
- Une coupure de la ventilation durant quelques minutes le temps d'allumer un feu de cheminée, pour éviter que la fumée ne parte dans la maison à la place de monter dans la cheminée
- Une baisse temporaire de la ventilation le temps d'une douche, pour préserver un peu d'air chaud pour le confort
- Une baisse mesurée mais prolongée du régime de la ventilation pendant la durée de précipitations importantes, selon la température
Personne n'argumentera sur le fait que couper ou baisser la ventilation pendant 5 minutes n'aura aucun effet notable sur l'évacuation de l'humidité - d'autant plus qu'une douche se prend à priori porte fermée. Le 3e cas de figure est plus subtil, car sa pertinence dépend de la température extérieure. Voici la justification:
- Lorsqu'il fait 5°C ou moins, l'air extérieur - même saturé - ne peut contenir que peu d'humidité: moins de 6g/m3. Une fois chauffé à 19°C, cela représente une humidité relative de moins de 40%, qui ne devrait pas avoir d'influence sur le fonctionnement de la ventilation hygroréglée. Tout va bien.
- A 10°C, lorsque l'air est saturé d'humidité, il contient plus de 9g d'eau par m3. Une fois chauffé à 19°C, cela représente une humidité relative de 55%. En présence de ce taux d'humiditél, les bouches d'extraction hygroréglées vont s'ouvrir largement, et faire fonctionner la ventilation à plein régime, sans avoir d'effet bénéfique sur la baisse d'humidité dans la maison. Par contre, la facture de chauffage sera multipliée par trois ou quatre...
- À 18°C ou plus, l'effet reste le même, mais au moins on ne perd pas d'énergie de chauffage. Par contre, on perd encore 30% de consommation électrique
C'est pourquoi nous allons vous montrer aujourd'hui comment améliorer le fonctionnement d'une ventilation hygroréglée en ajustant son débit.
Adapter le régime de la ventilation
Le régime de ventilation idéal est celui qui assure en tout temps le renouvellement du bon volume d'air pour l'habitat. Il ne s'agit pas de renouveller assez d'air, comme le conçoivent certains ventilistes, mais juste le bon volume. Si la ventilation a été installée dans le cadre d'une rénovation énergétique, un renouvellement excessif nuira à l'objectif initial d'économie d'énergie.
Or comme expliqué dans la première partie, une ventilation hygroréglable fonctionne grâce à un ventilateur central dont la consigne est spécifiée en termes de pression, et non en débit d'air total: c'est grâce à cela qu'elle peut s'adapter pour compenser les variations locales d'humidité dans l'habitat. La première question est donc de savoir s'il est possible d'ajuster le débit total d'une ventilation hygroréglable en jouant sur la consigne de pression.
On trouve la réponse dans les caractéristiques techniques des bouches d'extraction: effectivement, le débit d'air varie très régulièrement en fonction de la pression statique, en tout cas à partir de 25 Pa:
débit typique de bouches d'extraction d'air (source: Anjos)
Il est donc parfaitement légitime de corriger un débit d'air excessif par une diminution de la pression statique dans le circuit d'extraction. Mais il faut faire quelques mesures auparavant pour ne pas agir à l'aveugle.
Mesures
Pour savoir ce que l'on fait, on va utiliser deux appareils: un anémomètre, qui permet de mesurer le débit d'air effectif de chaque bouche d'extraction, et un manomètre différentiel à tube, qui permet de mesurer la pression statique juste derrière chaque bouche d'extraction. On peut acheter sur Internet ces deux instruments, incontournables pour vérifier le bon fonctionnement d'une ventilation, à partir de 100 EUR chacun pour des modèles d'entrée de gamme.
Pour mesurer le débit total de la bouche d'extration, il faut équiper l'anémomètre d'un cône qui assure que tout l'air aspiré passe par l'instrument de mesure. On peut alors calculer le volume en multipliant la vitesse de l'air par la surface de l'hélice de mesure, sans compter l'axe de rotation. Nous avons utilisé une imprimante 3D pour fabriquer un cône adapté à notre anémomètre, mais certains modèles d'anémomètres sont fournis avec des adaptateurs adaptés.
On pourra ainsi mesurer le débit de chaque bouche d'extraction dans différentes conditions, ainsi que la pression statique juste derrière la bouche pour vérifier qu'elle se situe bien dans la plage demandée par le fabricant pour garantir son bon fonctionnement.
À titre d'exemple, nos mesures nous ont révélé que le débit d'air total actuel de la ventilation installée par le ventiliste était supérieur de 50% au débit théorique prévu par le thermicien. Autrement dit, un tiers de l'air chauffé est jeté inutilement à l'extérieur. Ce n'est pas vraiment une surprise sachant que le ventiliste n'a pas jugé utile de mesurer le débit d'air, mais tout de même...
Reconfigurer la ventilation
La configuration du ventilateur central est naturellement spécifique au modèle utilisé. Dans notre cas, comme vu dans la première partie, il s'agit du modèle CAB 160 ECOWATT PLUS fabriqué par S&P, qui dispose d'une interface MODBUS par RS-485. Comme nous l'avons raccordé au réseau local à l'aide d'un Yocto-RS485-V2 branché sur un YoctoHub-Ethernet, nous pouvons utiliser la librairie Yoctopuce en ligne de commande pour accéder à la consigne de pression statique, stockée dans le holding register 24:
C:\> YSerialPort -r 192.168.123.45 any modbusReadRegisters 1 24 1 OK: EcowattComm.serialPort.modbusReadRegisters = 130.
La consigne mise en place par l'installateur est donc 130 Pa. On peut changer la valeur de consigne avec la commande suivante, et la relire pour vérifier que le changement a bien été pris en compte:
C:\> YSerialPort -r 192.168.123.45 any modbusWriteRegister 1 24 90 OK: EcowattComm.serialPort.modbusWriteRegister = 1 24 90. C:\> YSerialPort -r 192.168.123.45 any modbusReadRegisters 1 24 1 OK: EcowattComm.serialPort.modbusReadRegisters = 90.
Le changement de régime est clairement perceptible à l'ouïe. En mesurant à nouveau toutes les bouches d'extraction, on vérifie que la pression statique derrière chaque bouche est d'environ 80 Pa, ce qui est conforme aux besoins pour le bon fonctionnement. Le débit d'air total baisse de 20%, et la consommation électrique de la ventilation baisse de 30%. Voilà déjà une petite victoire.
Pilotage depuis Home Assistant
Une fois le régime de base adapté, voyons comment modifier dynamiquement le régime pour améliorer la gestion des situations atypiques décrites au début de l'article. Pour régler le régime de la ventilation directement depuis Home Assistant, il faudrait pouvoir exécuter directement la commande modbusWriteRegisters. Or, ce n'est pas directement possible, car nous utilisons l'intégration générique des modules Yoctopuce par MQTT, qui ne connaît pas les fonctions spécifiques MODBUS.
Nous allons donc utiliser une petite astuce: plutôt que d'envoyer la commande MODBUS depuis Home Assistant, nous allons ajouter la commande MODBUS directement dans le Yocto-RS485-V2, en ajoutant au job automatique de mesure (cf partie 1) une tâche qui configure le ventilateur à la vitesse désirée. Nous le dupliquerons ensuite et en ferons deux variantes: un job pour le régime normal, et un job pour le régime réduit. On pourra ensuite changer le régime de la pompe depuis Home Assistant simplement en commutant le job actif.
Voici la tâche supplémentaire à ajouter à notre job:
Tâche de configuration de la consigne de pression
Notez que dans le jargon MODBUS, les holding registers commencent à 40'001. Notre registre 24 devient donc 40'025...
Une fois la tâche ajoutée dans notre job, il ressemble à ceci:
La variante du job en régime réduit
Il ne reste plus qu'à le dupliquer - ou à le tripler si l'on désire disposer de trois régimes différents. Une fois fait, on peut commencer par tester manuellement que le changement de régime fonctionne en commutant le job directement sur l'interface Web du module. Si tout fonctionne, on peut passer au pilotage par Home Assistant.
Pour que le YoctoHub-Ethernet accepte d'exécuter des ordres reçus par MQTT de Home Assistant, il faut s'assurer d'avoir activé la fonctionnalité dans la configuration du callback MQTT. Pour des raisons de sécurité, elle est désactivée par défaut:
Activation de l'envoi de commandes MQTT au hub
Une fois ce réglage effectué, on peut utiliser une action de type MQTT:Publish pour changer de job. Il est possible de faire un petit test à l'aide de l'onglet Developer Tools de Home Assistant. Le topic doit être rempli avec le chemin complet du sous-noeud serialPort/set/currentJob du Yocto-RS485-V2, qu'on retrouve facilement à l'aide de MQTTExplorer lorsqu'on a pris soin d'attribuer des noms logiques aux modules. Comme payload, il faut mettre le nom du job, avec l'extension .job.
Il ne reste plus qu'à créer des Automations à volonté, comme par exemple un bouton qui réduit la ventilation durant 5 minutes le temps de prendre une douche.
Compensation de l'humidité extérieure
L'application qui nous intéresse le plus est la compensation du sur-régime de la ventilation causé par une forte humidité extérieure. Comme nous sommes en fin janvier et que la température a rarement dépassé 5°C ce mois-ci, nous n'avons pas encore eu l'occasion de valider l'approche en détail, mais en voici les grandes lignes.
- On utilise un Yocto-Meteo-V2 pour mesurer l'humidité absolue à l'extérieur. En fait on l'avait déjà, c'est celui qu'on avait installé pour réguler l'humidité à la cave.
- On crée un Helper de type input_select qui sert à mémoriser la dernière consigne de pression envoyée à la ventilation: pression normale, pression réduite
- On crée une Automation qui effectue l'action MQTT:Publish lorsque cet input_select change de valeur
- On crée une Automation qui commute l'input_select en pression réduite lorsque l'humidité extérieure est supérieure à 8.5g/m3
- On crée une Automation qui commute l'input_select en pression normale lorsque l'humidité extérieure est inférieure à 6.5g/m3
La combinaison des deux dernières règles forme un Schmitt Trigger, qui évite de basculer trop rapidement d'un mode à l'autre. En effet, comme la consigne de pression statique est un réglage persistant sur la ventilation centrale, elle est certainement sauvegardée dans une mémoire flash ou une EEPROM. Or ce type de mémoires dispose d'un nombre limité de cycle d'écritures, qui se comptent en centaines de milliers de cycles. Cela ne pose donc aucun problème de le changer 30 fois par jour, mais il faut éviter de le changer chaque seconde dans le cas où l'humidité tournerait autour d'une valeur seuil unique.
Pour combiner ces règles avec un bouton de réduction manuelle du régime de la ventilation, il faut ajouter un input_select supplémentaire qui mémorise la demande manuelle, avec une action retardée qui le commute dans l'état d'origine après le délai désiré. Les Automation qui commutent la ventilation doivent alors tester aussi l'état du bouton de l'input_select qui sert à la commutation manuelle.
Tout est là, il n'y a plus qu'à tester sur la durée !
Conclusion
On vous redira dans quelques mois si la compensation fonctionne bien, graphiques à l'appui. Les premiers bénéfices d'économie d'énergie grâce à la surveillance de la ventilation sont déjà acquis, nous verrons si les automatisations par domotique permettent d'engranger des économies supplémentaires.
Il est clair que qu'aller changer dynamiquement la configuration du ventilateur central n'est pas à la portée de tout le monde. Mais comme les moyens techniques étaient à disposition, il aurait été dommage de ne pas en profiter. Si l'efficacité de la méthode se confirme à l'usage, il est probable qu'à terme les fabricants de VMC introduiront eux-même cette régulation hygrométrique dans le fonctionnement de base des ventilateurs centraux.
Si vous avez plus d'expérience que nous avec les VMC et avez d'autres suggestions d'amélioration, n'hésitez pas à nous en faire part!