Si vous avez discuté de panneaux solaires photovoltaïques avec un heureux propriétaire d'une installation, il n'a certainement pas manqué de vous montrer fièrement sur son téléphone portable combien d'électricité il produit chaque jour. Par contre, pour les panneaux solaires thermiques, le contrôle à distance est moins répandu, car les systèmes de contrôle sont en général plus primitifs. On va donc voir comment ajouter à votre chauffage un système de surveillance tout simple, qui pourra peut-être vous faire économiser quelques centaines de kWh par an...
Le principe d'un chauffage pour l'eau chaude sanitaire avec apport solaire est de combiner la source solaire, qui a le meilleur bilan écologique mais dont la disponibilité n'est pas garantie, avec une source sûre mais un peu moins vertueuse, comme une pompe à chaleur ou un réseau de chauffage à distance.
Pour cela, on utilise généralement le principe du ballon d'eau chaude stratifié: l'échangeur thermique avec la source prioritaire (le solaire) est placé à la base du ballon et peut donc chauffer tout le volume d'eau, tandis que l'échangeur complémentaire situé à mi-hauteur garantit un volume minimal d'eau qui sera chauffé même en cas d'absence de soleil. Grâce au fait que l'eau froide est plus lourde que l'eau chaude, elle reste toujours au fond du ballon, ce qui maximise le potentiel de l'échangeur solaire. L'échangeur complémentaire ne se met en route que lorsque la température de l'eau à mi-hauteur est insuffisante pour répondre aux besoins.
Schéma d'un réservoir d'eau chaude sanitaire à double échangeur
Technique de mesure
Pour décompter précisément la part de chaleur fournie par le solaire par rapport à la source complémentaire, il faudrait installer des compteurs d'énergie sur les deux circuits d'échange thermique. Ce serait la solution la plus précise, mais cela impliquerait de modifier la tuyauterie pour y mettre des compteurs d'énergie thermique, ce qui serait assez coûteux.
Nous allons utiliser une solution beaucoup plus simple, qui offre néanmoins une bonne vision du fonctionnement du système. Le principe consiste à fixer des petits thermistors contre les tuyaux, à quelques points stratégiques. Collés avec un simple adhésif métallisé, ces petits capteurs de température fournissent une mesure locale de la température du tuyau permettant de tracer les échanges de chaleur.
Un Yocto-MaxiThermistor permet de mesurer six points différent, grâce aux six thermistors NTC 10k qui sont fournis avec le module. Il suffit de les rallonger avec du simple fil électrique et de les coller aux différents points de mesure.
Pour notre expérience, nous n'avons eu besoin que de quatre points de mesure (les index correspondent aux chiffres sur le schéma ci-dessus):
- au départ du réseau thermique complémentaire (réseau de chauffage à distance)
- à l'entrée dans le ballon de l'échangeur complémentaire (moitié supérieure du ballon)
- à l'entrée dans le ballon de l'échangeur solaire
- à la sortie du ballon de l'échangeur solaire (base du ballon)
Fixation des thermistors sur les tuyaux, à l'aide d'adhésif métallisé
Les deux premiers points nous permettront de savoir sans aucun doute quand la source d'énergie complémentaire est mise à contribution: lorsque cet échangeur est à l'arrêt, la température du tuyau sera plus basse vers la source de chaleur que vers le ballon, alors que lorsque la circulation sera active pour chauffer l'eau, la source sera plus chaude.
De manière similaire, les deux autres points de mesure sur le circuit solaire nous permettront d'observer la circulation dans l'échangeur solaire. Avec un point à l'entrée du ballon et un à la sortie, on pourra observer le transfert de chaleur qui s'est produit dans le ballon.
Et comme on a des points de mesure à la base et au milieu du ballon, on pourra vérifier l'effet de la stratification thermique.
Les thermistors sont câblés directement en entrée du Yocto-MaxiThermistor, que nous avons raccordé à un YoctoHub-Ethernet existant utilisé pour un autre système de contrôle, mais qu'on aurait aussi pu brancher directement par USB à un PC.
Le Yocto-MaxiThermistor (à gauche) collecte les mesure
Les données sont envoyées via MQTT à Home Assistant, comme décrit dans ce précédent article.
Observations
Après quelques jours de fonctionnement, on obtient sur Home Assistant un graphique permettant de mieux comprendre comment les deux circuits d'échange de chaleur dans le ballon d'eau chaude collaborent:
Les variations de température sur les tuyaux permettent de retracer les événements
- En bleu, on a la température au départ du réseau thermique complémentaire
- En jaune, l'entrée complémentaire dans le ballon (moitié supérieure)
- En rouge, on a l'apport de l'échangeur solaire en bas du ballon
- En vert, la sortie du ballon de l'échangeur solaire
On repère tout de suite l'apport solaire en rouge qui chauffe le ballon chaque jour à la mi-journée, et le retour solaire en vert, quelques degrés plus bas après avoir déposé de la chaleur dans le ballon. Le 31 mai, tout à gauche, on voit que la chaleur solaire fait monter la température au point de mesure supérieur.
Le deuxième jour, on voit que l'apport solaire n'a pas suffi à faire remonter la température au point de mesure supérieur: la courbe jaune continue sa descente. En effet, comme on peut le déduire de la courbe verte bien plus basse que la veille, la température dans le bas du ballon était largement inférieure, ce qui n'a pas permis de remonter la température au sommet. Du coup, lors de l'utilisation d'eau chaude pour les douches en fin de journée, on observe le réseau thermique complémentaire (en bleu) qui se met en marche, et remonte la température de la moitié supérieure du ballon. Scénario identique le lendemain à 13h, lors de la vaisselle du repas de midi: la chaleur résiduelle dans le ballon est insuffisante, et on constate à nouveau un apport de l'échangeur complémentaire.
Déductions
Au vu de ce graphique, la première évidence est que les apports d'énergie solaire n'évitent pas l'utilisation de la source d'énergie complémentaire, contrairement à ce qui était espéré. L'objectif de cette expérience était précisément de pourvoir tracer l'utilisation de l'énergie non solaire, et notre système de de mesure remplit donc entièrement son rôle.
Il reste maintenant à déterminer pourquoi l'apport solaire ne suffit pas... L'énergie solaire délivrée est considérable: on s'attend à ce qu'elle compense les pertes de chaleur à travers l'isolation du ballon et même un peu plus; sinon il ne servirait à rien d'utiliser un ballon solaire à double étage. Pourtant, les mesures du 1er juin à midi montrent que la température dans la moitié supérieure du ballon continue à baisser malgré l'apport. Donc il doit y avoir une perte de chaleur par ailleurs.
Une inspection détaillée du ballon nous apporte la cause la plus vraisemblable: cachée à l'arrière du ballon, une soupape de sécurité laisse passer en continu un mince filet d'eau, en toute discrétion. Probablement bloquée par le calcaire, elle ne ferme plus correctement et est probablement responsable de la perte de litres d'eau chaude depuis des mois, perte qui est remplacée par un apport d'eau froide, sans que personne ne s'en rende compte :-(
Il ne reste plus qu'à la faire remplacer... et on devrait ensuite pouvoir vérifier sur les graphiques que le chauffage à distance n'est plus utilisé du tout les jours ensoleillés !